Ratifié ou pas, le START-II de la rupture?

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L’administration Obama continue sa navigation à vue, tentant au jour le jour d’obtenir des compromis avec la minorité républicaine pour se donner l’apparence d’une victoire et, donc, l’illusion de gouverner. Cela pourrait-il être le cas avec START-II, et le traité sera-t-il ratifié ? Quoi qu’il en soit, le président a mis tous les “atouts” de son côté en envoyant une lettre aux républicains pour les assurer que le traité qu’ils ratifieraient, s’ils suivent sa recommandation, n’interférera en rien dans une défense antimissile maximale, notamment et essentiellement en Europe.

Le Washington Times du 18 décembre 2010 a obtenu une copie de la lettre. Il en donne les détails divers après en avoir sèchement résumé la conséquence probable la plus importante.

«President Obama on Saturday reaffirmed the U.S. commitment to building a long-range missile defense system in Europe that likely will be opposed by Russia and might prompt Moscow's withdrawal from the arms treaty known as the New START...

»Significantly, Mr. Obama stated in the letter that the Pentagon is committed to all four phases of its European missile defenses. The Pentagon will begin deploying the first phase of sea-based missile defenses in and around Europe next year, he stated, and will then start fielding advanced, ground-based SM-3 anti-missile interceptors in Romania and Poland to protect Europe and U.S. forces from Iranian and other medium-range missiles.

»“In the final phase, planned for the end of this decade, further upgrades of the SM-3 interceptor will provide an ascent-based intercept capability to augment our defense of NATO European territory, as well as that of the United States, against future threat of ICMBs launch from Iran,” Mr. Obama said. A copy of the letter was obtained by The Washington Times...»

Pour rappel, le commentaire russe le plus modéré sur le lien entre les missiles stratégiques offensifs et les antimissiles, selon l’observation concernent cette question dans le préambule du traité (Medvedev lors de l’émission de ABC Good Morning America du 14 avril 2010) : «[T]here is an interconnection between the strategic offensive arms and missile defense…. So if those circumstances will change, then we would consider it as the reason to jeopardize the whole agreement. That doesn't mean that because of that rule, if the American side starts to build up the missile system the treaty would automatically lose its power… […] [If] the other party radically multiplies the number and power of its missile defense system, obviously that missile defense system is indeed becoming a part of the strategic offensive nuclear forces, because it's capable of blocking the action of the other side. So an imbalance occurs, and this would be certainly the reason to have a review of that agreement.»

• A cela, on ajoutera l’annonce, ce 19 décembre 2010, que les deux chefs de la minorité républicaine au Sénat, Mitch McConnell et Jon Kyl, voteront contre la ratification.

Notre commentaire

@PAYANT …On pourrait croire que la “copie” de la lettre d’Obama obtenue par le Washington Times provient aussi bien d’un des rares sénateurs républicains partisans de SALT-II, ou, plus sûrement encore et malgré son antagonisme avec ce journal, de la Maison-Blanche elle-même. Les promesses d’Obama rencontrent les principales exigences des républicains concernant les antimissiles, en réduisant quasiment à néant la remarque inscrite dans le préambule du traité selon laquelle les systèmes antimissiles doivent être liés dans leur conception et leur déploiement aux inventaires des missiles offensifs des deux signataires. Les détails que donne le président ne laissent plus aucun doute : il s’agit d’un système antimissiles complet, avec notamment la quatrième phase installant des systèmes spécifiquement destinés à intercepter les missiles balistiques à longue portée ICBM, avec l’hypothèse pour l’instant rocambolesque que l’Iran en aura un jour, et la certitude que la Russie en a d’ores et déjà et qu’ils sont fondamentalement inscrits dans le décompte de START-II. (Ces détails sont loin d’être pure rhétorique pour les membres du Congrès puisque ce sont eux qui votent sur les budgets et sur les programmes ; s’ils veulent soutenir, voire imposer les programmes antimissiles annoncés par Obama et qui ne seraient pas adéquatement soutenus par le Pentagone ou finalement freinés par le président malgré ses promesses, ils ont tout loisir de le faire.)

Insistons sur ce fait : la déclaration de Medvedev était très modérée (elle était destinée au public US), et elle était faite par celui qui est certainement parmi les plus modérés des dirigeants russes sur cette question. Dans ce contexte, on peut effectivement se trouver d’accord avec le jugement initial du Washington Times selon lequel la lettre d’Obama aux républicains, avec les détails précis qu’il donne sur le programme de déploiement, y compris et surtout sur la quatrième phase qui concerne la défense contre les missiles stratégiques ICBM, devrait constituer pour la majorité des dirigeants russes un cas de mise en cause grave de l’“esprit” du préambule de l’accord tel qu’eux-mêmes l’ont conçu. Il y a bien assez de détails, de précisions, pour estimer que le programme BMD des USA, et particulièrement le programme BMDE (BMD en Europe) constitue un facteur intégral de l’équilibre stratégique nucléaire, donc qu’il détruit cet équilibre établi par le même traité START-II en faveur des USA. Il serait plus que surprenant si de telles intentions ne conduisaient pas à des réactions précises des Russes, voire à une mise en cause du traité, peut-être pas dans l’immédiat (en cas de ratification) pour cause d’avantages politiques pour Medvedev, mais à termes très rapides pour la direction politico-militaire en général. (Les Russes ont annoncé unilatéralement, essentiellement par rapport à cette question des antimissiles, qu’ils se réservaient le droit de se retirer du traité s’ils jugeaient sa lettre ou son esprit trahi.) Plus encore, la coopération entre la Russie et l’OTAN sur les antimissiles apparaîtrait vite comme une illusion et compromettrait rapidement tout le programme de coopération de la Russie et de l’OTAN, comme de la Russie et des USA d’autre part, dans la mesure où, dans de telles conditions énoncées par Obama, il s’agit d’un programme imposé par les USA, sans le moindre doute sous le contrôle opérationnel complet et exclusif des USA. (Evidemment, puisqu’il est question des ICBM au bout du compte, qui constituent la menace suprême contre leur territoire, les USA ne peuvent concevoir une seconde qu’ils n’aient pas la maîtrise complète du système.). Dans de telles conditions, la situation stratégique en Europe peut rapidement revenir au point de fusion qu’elle atteignit en 2006-2008 et où, déjà, les antimissiles, à côté de la Géorgie et bien plus que la Géorgie, jouaient un rôle déstabilisateur central.

Quoi qu’il en soit et malgré cette lettre d’Obama, les deux chefs de la minorité républicaine au Sénat, McConnell et Kyl, ont annoncé hier qu’ils ne voteraient pas la ratification. Cela ne signifie pas que la ratification ne se fera pas puisque quelques sénateurs républicains vont effectivement la soutenir et peut-être y a-t-il une possibilité qu’ils soient en nombre suffisant pour compléter les 67 voix (deux-tiers du Sénat) requises. Mais la prise de position de McConnell-Kyl (surtout le premier, le leader officiel de la minorité républicaine, qui n’avait pas annoncé publiquement sa décision) rend la perspective très délicate. Cette prise de position, malgré la lettre, montre que les républicains envisagent la ratification du traité d’abord du point de vue politique, intérieur et washingtonien, qu’ils ne veulent pas donner à Obama l’occasion d’une victoire dans le champ de la communication, – car c’est comme cela que serait présentée une ratification du traité, bien que ce traité soit aussi boiteux, aussi compromis dans son esprit qu’on le voit avec les conditions que garantit le président. La bataille politicienne domine donc tout au Congrès, et de la part des républicains sans aucun doute, ce que ne semble pas avoir compris Obama (ou plutôt, Obama n’a pas compris que cette situation-là n’est pas négociable, qu’elle est un fondement de la situation politique générale de Washington, qu’on ne peut le changer par des concessions et des compromis).

C’est une curieuse situation. Il semble bien que, dans tous les cas, Obama ne puisse être le gagnant qu’il voudrait être, même dans le cas de la ratification par le Sénat puisque les conditions qu’il annonce compromettraient nettement les relations entre les USA et la Russie. Obama serait considéré par les Russes, ou confirmé tant leur appréciation a évolué ces derniers mois, au mieux comme un président totalement discrédité et incapable d’imposer une politique extérieure, au pire comme un partenaire qui ne mérite strictement aucune confiance. Le président US semble donc engagé sur la route d’une débâcle dans le seul domaine de politique extérieure où il avait effectué de réels progrès. Il recueille le fruit de sa constante politique de conciliation avec les républicains, dans ce climat général de concessions faites à la minorité républicaine, de recul devant elle, etc., qui a conduit à sa perte complète d’autorité, par conséquent à une succession de défaites diverses entrecoupées de “victoire à la Pyrrhus” qui, en plus et pour compléter le tableau, le privent de tout soutien démocrate fondamental. Le président Obama n’a plus aucune base politique sérieuse (c’est-à-dire diversifiée dans son parti), il n’a plus aucune politique extérieure sérieuse puisqu’il compromet directement ou indirectement les relations des USA avec la Russie, la dernière relation stratégique importante pour les USA où l’on pouvait juger qu’il avait réalisé des modifications et apporté des améliorations significatives.


Mis en ligne le 20 décembre 2010 à 05H57

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